Luttons contre les entraves au droit de manifester !
Certains règlements municipaux restreignent les lieux où peuvent se tenir les manifestations et autres activités collectives. Plusieurs d’entre eux interdisent de gêner la circulation automobile ou piétonnière. Ceux de Sherbrooke et de Montréal, par exemple, interdisent « de gêner le mouvement, la marche ou la présence des citoyens ».
Parfois, ce ne sont pas les dispositions règlementaires en soi qui sont en cause, mais plutôt les décisions des forces de l’ordre, par exemple en obligeant les manifestant-e-s à déambuler sur le trottoir ou à modifier l’itinéraire choisi au préalable.
Le droit de manifester dans l’espace public et les libertés d’expression et de réunion pacifique
Restreindre l’utilisation de l’espace public en forçant les gens à manifester sur le trottoir, à modifier leur itinéraire ou en leur interdisant de gêner la circulation porte atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique.
Le but d’une manifestation est justement de déranger, de perturber et de se faire entendre haut et fort. Comme le dit la Cour d’appel, la manifestation dérange parce qu’elle interrompt le quotidien et suscite un débat en investissant provisoirement un lieu public (Bérubé, 2019). De plus, le choix du moment et du lieu de la manifestation fait partie intégrante du message que les manifestant-e-s veulent transmettre.
L’interdiction de gêner la circulation et l’obligation de manifester sur le trottoir sont-elles constitutionnelles?
Dans l’arrêt Garbeau de 2015, la Cour supérieure rappelle que manifester dans la rue est un droit fondamental garanti par nos chartes et par les instruments internationaux de protection des droits de la personne ratifiés par le Canada.
Pour la Cour d’appel, les rues ont pour fonction quotidienne de permettre la circulation automobile, cycliste ou piétonnière, mais il s’agit aussi d’espaces de rassemblement et d’expression collective, indispensables à l’exercice de la liberté de réunion pacifique (Bérubé, 2019). Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association « dans une société démocratique, l’espace urbain n’est pas seulement un lieu de circulation, mais aussi un lieu de participation ».
Le droit de manifester et de s’exprimer dans l’espace public est donc un droit fondamental, alors que le droit de circuler en automobile ne constitue pas un droit constitutionnel (Syndicat des cols bleus, 2009).
Une modification temporaire de l’utilisation habituelle de la rue est une conséquence normale et acceptable du droit de manifester et ne constitue pas une entrave à l’utilisation du domaine public (Vanasse, 2003).
Dans l’affaire Bérubé en 2019, la juge Marie-France Bich de la Cour d’appel écrit que ce n’est pas parce qu’elle perturbe le quotidien ou gêne la circulation automobile que la manifestation est une nuisance ou un trouble à l’ordre public que l’on doit réprimer. L’usage de l’espace public à des fins de manifestation est un usage légitime de ces lieux et « la contrariété temporaire qu’en éprouvent les autres usagers [et usagères] n’est pas un mal, ne constitue pas un préjudice et ne saurait, en soi, appeler une réglementation ou une restriction du droit de manifester pacifiquement ».
Les libertés d’expression et de réunion pacifique, particulièrement lorsque l’activité expressive a une teneur politique ou se rapporte à un débat social, devrait pouvoir s’exercer sans que l’on présume qu’elle mène au désordre et nécessite une réglementation (Bérubé, 2019). De plus, les dispositions règlementaires en cause ont une large portée et peuvent donner lieu à une application subjective, voire arbitraire.
Elles accordent un pouvoir d’intervention discrétionnaire aux forces policières, pouvoir exercé en fonction de ce qu’elles jugent être un degré acceptable de perturbation de la circulation. Cependant, ce devoir ne donne pas à la police le pouvoir discrétionnaire de décider ce qui est permis ou non ni de mettre fin à une manifestation. Les forces de l’ordre ont le devoir de favoriser l’exercice de la liberté d’expression des citoyen-ne-s et d’assurer la sécurité des manifestant-e-s.