Manifester, c'est l’exercice même des libertés d’expression et de réunion pacifique. Ces libertés sont garanties dans les chartes canadienne et québécoise, et les tribunaux québécois ont récemment confirmé le caractère fondamental de ces libertés. La Cour supérieure écrivait en 2015 que le fait de pouvoir manifester son opposition ou sa dissidence est essentiel dans une démocratie, car la manifestation « favorise les valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique : soit le débat démocratique, la recherche de vérité et l’épanouissement personnel » (Garbeau, para 171).
En octobre 2019, la Cour d’appel a souligné pour sa part que l’expression, c’est-à-dire le discours, et la manière d’être de cette expression, en l’occurrence la réunion, sont protégées distinctement par la Charte canadienne. Selon la Cour d’appel, le domaine public et, plus précisément, la rue, le trottoir, la place ou le parc sont les lieux privilégiés, traditionnels et historiques de l’expression collective et de la réunion populaire : ils forment le terrain naturel de la manifestation (Bérubé, para 43 et 47).
La manifestation est une activité expressive en soi perturbatrice, qui dérange : c’est sa nature et sa raison d’être. La Cour d’appel rappelle que ce n’est pas pour autant qu’elle doit être considérée comme une nuisance, réprimée ou contrôlée (Bérubé, para 163).
Les libertés d’expression et de réunion pacifique, comme tous les droits protégés par nos chartes, peuvent être limitées dans certaines circonstances.
À titre d’exemple, la Cour suprême a jugé constitutionnelle la disposition du Code criminel pénalisant la propagande haineuse, même si cette infraction porte atteinte à la liberté d’expression. En effet, elle a estimé que l’impératif social consistant à prévenir les effets néfastes de la propagande haineuse sur les personnes ciblées était très important et justifiait de limiter ainsi la liberté d’expression. Bref, de telles restrictions sont autorisées par les chartes canadienne et québécoise si elles sont raisonnables et justifiées dans une société libre et démocratique.
La Cour suprême a élaboré en 1986 un test détaillé dans la décision R c. Oakes. Une atteinte à un droit ou à une liberté pourra être jugée justifiée si l’objectif poursuivi par le législateur est urgent et réel dans une société libre et démocratique, et si le moyen choisi, soit la mesure restrictive, est bien conçu pour atteindre cet objectif. C’est à l’État, dans ce cas-ci les autorités municipales, que revient le fardeau de prouver que l’atteinte est justifiée. La Cour suprême exige une preuve « forte et persuasive » et répète souvent que de vagues généralisations ne suffisent pas.
Les éléments que les autorités doivent prouver à cette étape sont les suivants :
La Cour d’appel dans l'arrêt Bérubé a établi que ce test doit être appliqué de façon particulièrement rigoureuse quand la liberté d’expression est en jeu, en raison de son « importance sociale et [de sa] fonction privilégiée comme instrument et pilier de l’ordre démocratique » (paras 78-80). Il en va de même pour la liberté de réunion pacifique. Ainsi, si un doute persiste à savoir si la restriction est justifiée, les tribunaux doivent conclure en faveur de ces libertés.