Filmer la manifestation
Les policiers et policières filment souvent les manifestations, soit avec des caméras ordinaires ou, de plus en plus fréquemment, avec des caméras corporelles. L’utilisation de technologies d’intelligence artificielle et de reconnaissance faciale par les services de police, sans encadrement, est aussi actuellement critiquée par plusieurs commissariats à la vie privées du Canada (Enquête conjointe sur Clearview AI, Inc.).
Ces pratiques policières sont questionnables. Même si la protection en matière de vie privée n’est pas absolue dans l’espace public, la Cour suprême a reconnu que la vie privée s’attache à la personne et non aux lieux. Même dans les lieux publics, l’individu conserve une part d’autonomie et un droit à l’anonymat, composantes du droit à la vie privée (Spencer, para. 44).
Plus spécifiquement, l’usage des caméras corporelles fait l’objet de plusieurs projets pilote au Québec, soit à Montréal (SPVM), à Blainville (CERP, p.7) ainsi que dans les MRC de Rimouski-Neigette, de La Vallée-de-l’Or, de Beauharnois-Salaberry et de Drummond (Radio-Canada). Bien que l’objectif des caméras corporelles serait d’assurer la transparence des interventions policières, elles peuvent donner lieu à des dérives sérieuses comme la surveillance de masse et l’utilisation d’images à des fins d’identification dans le cadre d’enquêtes futures. Elles soulèvent d’autres enjeux importants en matière de droits et libertés, liés notamment à leur caractère invasif, à la conservation indéfinie des enregistrements effectués et au développement des technologies de reconnaissance faciale (CPVP, Consultation sur la Reconnaissance faciale). C’est tout particulièrement le cas en ce qui concerne l’enregistrement vidéo de manifestations par les corps policiers ou ou lors d’interventions policières violentes ou empreintes de profilages racial, social ou politique.
De plus, en contexte de manifestations, les libertés d’expression et de réunion pacifique s’accommodent mal d’une surveillance par l’État et les corps policiers. La surveillance de l’État peut susciter un « effet paralysant » sur l’exercice du droit de manifester ou de s’assembler (LDL, The Citizen Lab). La Haute Commissaire aux droits de l’homme constate que l’enregistrement d’images des manifestant-e-s par les services de police provoque un effet dissuasif « car de nombreuses personnes n’osent plus manifester dans des lieux publics et exprimer librement leurs opinions, car elles craignent d’être identifiées et d’en pâtir. » (HCR).
En contrepartie, les personnes se trouvant sur les lieux d’une manifestation ou d’une intervention policière sur la voie publique peuvent également la filmer, dans la mesure où cela ne perturbe pas le travail policier ou ne vise pas à intimider (Simard, para. 29). Un policier ou une policière ne peut donc pas valablement interdire à une personne de filmer si elle se tient à distance et n’interrompt pas l’intervention en cours. Dans le cas contraire, la personne pourrait être accusée d’entrave au travail des policier-e-s.
Il faut toutefois être conscient-e que la diffusion de l’image d’une personne nécessite son consentement et que d’autre part, une fois ces images diffusées, elles pourront être utilisées autant par la défense que par la poursuite dans un procès. Il faut donc être prudent-e lorsqu’on décide de filmer une intervention policière et/ou d’en diffuser publiquement le contenu ultérieurement (par exemple sur les réseaux sociaux).
Le policier ou la policière ne peut pas fouiller un appareil ou demander d’effacer des photos ou vidéos prises (Ledoux).
Ficher les manifestant-e-s
Les policiers et les policières sont tenu-e-s d’identifier les personnes en état d’arrestation. Pour ce faire, ils et elles peuvent recueillir le nom, le prénom, la date de naissance et l’adresse de la personne arrêtée. Dans le cas de la remise d’un constat d’infraction, la personne doit donner son nom légal et son adresse de correspondance habituelle avec le gouvernement, tels qu’ils figurent sur les documents d’identité comme le permis de conduire ou la carte d’assurance-maladie. Notons qu’il n’y a pas d’obligation légale de donner sa date de naissance. Toutefois, il peut être nécessaire de la donner pour confirmer son identité.
Donner un nom légal qui ne correspond pas au nom choisi peut être un obstacle pour une personne trans*, tout comme peut l’être le fait de donner une adresse pour une personne en situation d’itinérance. Pour une personne à statut migratoire précaire, donner ces informations peut être particulièrement stressant.
Contrairement à d’autres pays, il n’y a pas d’obligation d’avoir une carte d’identité sur soi au Canada. Cependant, si les policiers et les policières ont des motifs raisonnables de douter de la véracité des informations données, des questions supplémentaires peuvent être posées sur ces informations et une carte d’identité peut être demandée.
Il est préférable de fournir ces informations lors d’une arrestation. Refuser de le faire peut donner lieu à la prolongation de la détention jusqu’à ce que l’identité de la personne visée puisse être établie. Une accusation criminelle d’entrave au travail des policiers et policières pourrait aussi être portée. La personne arrêtée n’est toutefois pas tenue de fournir d’information supplémentaire; elle a droit au silence.
Lorsqu’une personne est arrêtée en vertu du Code criminel, elle pourrait devoir se soumettre à des procédures d’identification supplémentaires, à savoir la prise de ses empreintes digitales et de photos d’identification (Loi sur l’identification des criminels, art. 2 (1)). Notons que dans certaines situations précises, la prise d’empreintes n’est pas exigée, comme c’est le cas pour les infractions sommaires de moindre gravité telles que l’attroupement illégal ou troubler la paix. En effet, la loi prévoit cela pour les actes criminels ou pour « une infraction punissable par voie de procédure sommaire si l’infraction peut aussi être poursuivie par voie de mise en accusation ».
Selon les circonstances, ces procédures se déroulent au poste de police suite à l’arrestation, ou encore au lieu et à l’heure indiqués sur un document remis par la police ou délivré par un-e juge (promesse, sommation, engagement ou citation).
Dans le cas où le policier ou la policière remet un constat d’infraction, la Cour d’appel du Québec a par ailleurs confirmé leur droit de prendre une photo de la personne (Godin). Dans cette affaire, quatre manifestant-e-s ont poursuivi la police après avoir été arrêté-e-s durant l’occupation au Square-Victoria dans la foulée du mouvement Occupy Wall Street. La Cour d’appel a conclu que la prise de photo fait partie du pouvoir policier d’identifier la personne arrêtée et de préserver la preuve de son identité et de son apparence (Godin, para. 90). Toutefois, elle n’a pas déterminé si une telle pratique porte atteinte aux droits protégés par nos chartes, puisque cet argument ne lui a pas été présenté.
Menotter les manifestant-e-s
Les policiers et les policières ne peuvent pas systématiquement menotter une personne en état d’arrestation (Dompierre, para. 93). Ils et elles ont le pouvoir de menotter la personne qui est en état d’arrestation uniquement pour assurer leur propre sécurité, celle de la personne arrêtée ou encore celle d’autrui.
Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire que les forces policières doivent exercer suivant les circonstances, si la personne présente un risque ou un danger pour la sécurité, par exemple en ayant une attitude agressive, verbalement ou physiquement (Morin, para. 13-14 ; Dompierre, para. 94). Selon le Guide de pratiques policières du ministère de la Sécurité publique, les menottes devraient par ailleurs être enlevées « dès que leur utilisation n’est plus nécessaire et que la situation le permet » (Voir le Guide de pratique policière portant sur l’usage de menottes du MSP, p.3).
Si ces critères ne sont pas respectés, menotter une personne arrêtée constitue un abus d’autorité qui ne respecte pas l’article 6 du Code de déontologie des policiers du Québec, même si c’est pour seulement quelques minutes (Dompierre, para. 95). Ainsi, que ce soit pour une infraction réglementaire ou criminelle, l’usage de menottes devrait être l’exception, réservée aux circonstances présentant un risque ou un danger pour la sécurité des personnes se trouvant sur les lieux de l’intervention.
En matière règlementaire, l’usage des menottes est extrêmement rare (Morin, para. 13). Cependant, lors d’arrestations de masse dans des contextes d’activisme politique, il était fréquent que les manifestant-e-s arrêté-e-s en vertu de dispositions réglementaires soient menotté-e-s, avec des attaches en plastique (tie-wrap). Le menottage systématique et prolongé des manifestant-e-s pour leur remettre des constats d’infractions est sans aucun doute une pratique abusive.
En revanche, en matière criminelle, la pratique montre qu’en dépit des directives données aux policiers et policières , les personnes arrêtées se voient systématiquement menottées. De nouveau, cette pratique est abusive, sauf si la personne présente un risque ou un danger pour la sécurité des personnes présentes.
Fouiller les personnes détenues ou arrêtées
Les policiers et policières n’ont généralement pas le droit de vous fouiller ou de fouiller vos biens personnels lorsque vous êtes dans l’espace public, à moins que vous soyez détenu-e ou arrêté-e. Ils et elles peuvent toutefois saisir des preuves d’une infraction si elles sont bien en vue (Law) ou fouiller une personne dans une situation d’urgence dans le but de préserver des preuves ou d’assurer la sécurité des personnes présentes (Paterson). Autrement, l’article 8 de la Charte canadienne protège contre les fouilles, les perquisitions et saisies abusives.
L’arrestation donne un pouvoir de fouille aux policiers et policières, mais ce pouvoir ne doit pas être exercé de façon abusive (R c Caslake, para. 10). La fouille doit être nécessaire pour atteindre un objectif lié à l’arrestation, tel qu’assurer la sécurité des policiers ou policières ou de la personne arrêtée, ou pour conserver ou recueillir des éléments de preuve liés à l’infraction reprochée.
Ce sont les circonstances de l’arrestation qui détermineront l’étendue acceptable de la fouille accessoire à l’arrestation (R c Fearon, para 13). Alors que la fouille sommaire par palpation est généralement acceptable, la fouille à nu et des cavités corporelles ou du téléphone cellulaire doivent répondre à des critères bien plus stricts (Cloutier c Langlois ; R c Stillman ; R c Fearon).
Les forces policières ont aussi le pouvoir de fouiller les personnes détenues aux fins d’enquête dans certaines circonstances limitées (R c Clayton), ainsi que dans des situations d’urgence pour préserver des éléments de preuve ou la sécurité des personnes présentes (R c Paterson). Il est généralement préférable d’éviter d’amener avec soi dans la manifestation un objet qui pourrait être assimilé à une arme, de la documentation relative à l’organisation d’une action ou d’un événement militant et de verrouiller l’accès à son cellulaire dès qu’il est éteint ou mis en veille.
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