Lors de la remise d’un constat d’infraction
Le Code de procédure pénale permet aux policiers et policières de procéder à la détention ou à l’arrestation d’une personne seulement si celle-ci refuse de s’identifier ou si c’est le seul moyen pour mettre un terme à l’infraction. Rappelons qu’un refus de s’identifier peut entraîner une accusation d’entrave au travail des policier-e-s en vertu du Code criminel (Vigneault).
La police est tenue de libérer la personne ainsi arrêtée dès qu’elle a déclaré ses nom et adresse ou, selon le cas, dès que la détention n’est plus nécessaire pour empêcher la poursuite de l’infraction. La plupart du temps, la personne arrêtée sera libérée sur les lieux de son arrestation après le processus d’identification. Un constat d’infraction peut lui être émis sur le champ ou lui être envoyé plus tard par la poste.
Il arrive souvent, surtout dans le contexte d’arrestations de masse par encerclement, que les personnes arrêtées soient détenues de longues heures sur place ou dans des autobus, puis déplacées et libérées à un poste de police quelconque ou ailleurs dans la ville. Cette pratique, de même que les fouilles effectuées, est abusive. Il s’agit souvent de moyens de répression qui visent à démobiliser et à dissuader les gens de participer à des manifestations.
Les policiers et policières qui procèdent à la remise d’un constat d’infraction ne peuvent pas imposer de conditions à respecter. Ces conditions peuvent seulement être imposées lorsque vous êtes accusé-e d’une infraction criminelle.
En cas d’infraction criminelle
Le policier ou la policière qui arrête une personne en vertu du Code criminel dans le cadre d’une manifestation doit remettre cette dernière en liberté dès que possible, sauf si le maintien en détention est jugé nécessaire pour une des raisons suivantes :
- l’identifier ;
- recueillir ou conserver des éléments de preuve liés à l’infraction ;
- empêcher que l’infraction se poursuive ;
- assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l’infraction ;
- assurer la présence de la personne arrêtée au tribunal.
La loi confère donc un certain pouvoir discrétionnaire au policier ou à la policière qui procède à l’arrestation. Dans les contextes de mobilisations militantes, les forces policières ont parfois usé de leur discrétion à des fins répressives en prolongeant inutilement la détention des personnes arrêtées. Par exemple, durant les manifestations étudiantes de 2012 à Montréal, des manifestant-e-s ont été menotté-e-s et détenu-e-s plusieurs heures dans des autobus de la Société de transport de Montréal (STM), puis jusqu’à un centre opérationnel avant d’être libéré-e-s avec un constat d’infraction .
Le policier ou la policière peut décider de libérer la personne sans qu’elle ait à passer devant un-e juge. La personne libérée peut alors signer un document qui détaille l’accusation portée contre elle, les conditions à respecter et la date de comparution devant un-e juge, ou alors elle recevra une sommation par la poste avec ces informations.
Le policier ou la policière peut aussi décider de garder la personne en détention en attendant qu’elle comparaisse devant un-e juge. Cette comparution doit avoir lieu dans un délai maximal de 24 heures. Si la personne est remise en liberté, des conditions lui seront presque systématiquement imposées. La personne signe aussi un document contenant les conditions à respecter jusqu’à sa prochaine date de cour. Dans le cas où le ou la juge ne remet pas la personne en liberté, celle-ci est détenue jusqu’à son procès ou jusqu’à ce que son dossier judiciaire soit réglé. On appelle ce type de détention « provisoire » ou « préventive » .
Types de conditions
Des conditions peuvent être imposées, par des policiers et policières ou par des juges, aux manifestant-e-s accusé-e-s d’une infraction criminelle. Plusieurs sortes de conditions sont utilisées couramment dans le système judiciaire, par exemple l’obligation de garder la paix et une bonne conduite, l’obligation de rester dans sa résidence ou le respect d’un couvre-feu.
Certaines conditions imposées aux manifestant-e-s affectent directement les libertés d’expression, de réunion pacifique ou d’association, telles que les interdictions totales ou partielles de manifester, de se trouver dans un lieu public ou dans un périmètre particulier ou encore de s’associer à certains groupes ou personnes (Sylvestre & al., 2017, p. 937-939).
Par exemple, des manifestant-e-s arrêté-e-s dans le cadre des manifestations étudiantes de 2012 se sont vu imposer une interdiction d’être sur l’ensemble de l’île de Hull. En conséquence, la manifestation du 1er mai, traditionnellement organisée au parc Fontaine, a été annulée par solidarité.
Notons que des conditions peuvent aussi être imposées après la déclaration de culpabilité, soit dans le cadre de la peine (par exemple, les conditions de probation) ou lors de la libération conditionnelle à la fin d’une peine d’emprisonnement.
Contestation et non-respect des conditions
Les conditions peuvent être modifiées s’il y a un commun accord entre la poursuite et la défense. Elles peuvent aussi être contestées en cour et ainsi être modifiées par un-e juge qui les estime trop restrictives ou non nécessaires. La personne peut aussi contester à la Cour supérieure la constitutionnalité d’une condition qu’elle juge attentatoire à ses droits fondamentaux en vertu des chartes, par exemple l’interdiction de manifester.
Il s’agira de plaider que cette condition viole un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et/ou la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et que cette atteinte est déraisonnable et injustifiable dans notre société.
De telles contestations n’ont pas été couronnées de succès à ce jour (Sylvestre & al., 2017, p. 959; Hébert, para. 5; Hundert & Henderson). Dans un cas, le juge a remplacé l’interdiction totale de manifester par une condition moins sévère, soit de ne pas manifester sur une propriété privée et de ne pas participer à des manifestations non paisibles ou illégales (Manseau, para. 47).
Si une personne ne respecte pas ses conditions de remise en liberté, une nouvelle accusation criminelle de bris de conditions, passible d’un emprisonnement de maximum deux ans, pourrait être portée. Le cycle de judiciarisation reprend lorsqu’un bris de condition est constaté : arrestation, détention, libération sous conditions ou détention provisoire. Cette personne fera donc désormais face à deux accusations distinctes.
Discussion
En principe, comme toute personne est présumée innocente jusqu’à preuve du contraire, la remise en liberté pure et simple des manifestant-e-s arrêté-e-s devrait être la règle. Pourtant, dans les faits, il s’agit plutôt de l’exception.
Une étude récente visant les personnes judiciarisées marginalisées – incluant les manifestant-e-s – à la Cour municipale de Montréal a conclu que 95,3 % des personnes s’étaient vu imposer des conditions (Sylvestre & al., 2018, p. 4). Cette étude a démontré que les personnes accusées dans le cadre de manifestations cumulent souvent plus d’une dizaine de conditions strictes qui neutralisent leur participation aux mobilisations sociales, ce qui porte atteinte à leur liberté d’expression, de réunion et d’association. Bien souvent, les conditions sont fixées trop rapidement, dans une salle surchargée et sans réelle considération de la situation de l’accusé-e (Sylvestre & al., 2017, p. 960-962).
Pourtant, selon la Cour suprême, ces conditions doivent être « les moins nombreuses possible, nécessaires, raisonnables, les moins sévères possible dans les circonstances » et « être expressément adaptées à la situation personnelle de la personne prévenue » (Zora, para. 101 et 25). Elles ne devraient jamais viser à modifier le comportement ou à punir la personne, mais uniquement viser à assurer la présence à la cour ainsi que la sécurité et la confiance du public (Zora, para. 92).
Ainsi, ces conditions ne « doivent pas non plus restreindre les droits garantis par la Charte à la personne prévenue comme la liberté d’expression », à moins qu’elles ne soient « justifiées et proportionnelles au risque » que la personne pose (Zora, para. 87 et 99).
Or, dans les faits, les conditions très sévères et liberticides imposées aux manifestant-e-s semblent avoir pour objectif de réprimer la dissidence, donner une leçon aux manifestant-e-s et de dissuader les citoyen-e-s de participer aux manifestations et de s’exprimer dans la rue.