Luttons contre les entraves au droit de manifester !
Deux types d’interdiction – soient tenir des propos injurieux ou violents – figurent dans les règlements municipaux de plusieurs villes. La plus fréquente est celle qui interdit d’injurier ou d’insulter un policier ou une policière dans l’exercice de ses fonctions. C’est le cas par exemple de l’article 9 du règlement 1091 de la Ville de Québec.
La seconde interdiction consiste à pénaliser la participation à une manifestation où sont tenus des propos violents, comme le prévoit le règlement de la Ville de Sherbrooke qui punit l’utilisation d’un langage non respectueux sur la place publique.
Les propos injurieux ou violents et les libertés d’expression et de réunion pacifique
Selon la Cour suprême, la liberté d’expression garantit à chaque personne le droit d’exprimer ses pensées, ses opinions, ses croyances, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elles. Même des propos d’une virulence malsaine sont permis dans une société libre et démocratique (Irwin Toy, 1989).
Si tous les types de messages, même haineux, obscènes ou violents, sont couverts par la garantie constitutionnelle, certaines activités en sont exclues en raison de la façon dont elles sont transmises ou en raison du lieu où elles sont transmises. Le message violent transmis pacifiquement est couvert par la garantie constitutionnelle, alors que tout message transmis avec violence en est exclu.
Au regard de ces principes établis par les tribunaux, il est clair qu’interdire de prononcer des insultes, des injures ou des paroles violentes pendant une manifestation brime la liberté d’expression.
L’interdiction des propos injurieux ou violents est-elle constitutionnelle ?
Selon les décisions rendues par les tribunaux canadiens, l’État a le pouvoir de limiter raisonnablement la liberté d’expression pour des raisons d’ordre public (Butler, 1992). Ainsi, il a été jugé que l’interdiction de propagande haineuse à l’endroit d’un groupe pour des motifs discriminatoires, comme l’origine ethnique, la religion ou l’orientation sexuelle, est légitime dans une société libre et démocratique (Keegstra, 1995). Cependant, la Cour ajoute qu’il doit s’agir de manifestations extrêmes de haine ou de détestation ; le caractère répugnant des idées n’est pas suffisant pour justifier d’en restreindre l’expression (Whatcott, 2013).
En vertu de ces principes, l’interdiction de tenir des propos violents lors d’une manifestation est une atteinte injustifiée à la liberté d’expression, à moins qu’ils équivaillent à de la propagande haineuse.
En ce qui concerne l’interdiction d’insulter ou d’injurier un policier ou une policière dans l’exercice de ses fonctions, la réponse des tribunaux est moins claire. Malgré l’existence de plusieurs jugements se demandant si tel terme ou tel autre est une injure, ou encore si le policier ou la policière était dans l’exercice de ses fonctions au moment des faits, aucune décision de fond émanant de tribunaux supérieurs n’a statué sur la légitimité d’une telle atteinte à la liberté d’expression ou aux principes de justice fondamentale.
Quelques décisions affirment que l’objectif d’une telle interdiction est d’éviter que la situation ne dérape lors d’une intervention policière où les tensions sont vives ainsi que de s’assurer du respect d’autrui et du maintien de rapports cordiaux entre les citoyen-ne-s (Dubé, 2009).
Les termes « insulte » ou « injure » ne sont pas définis et sont laissés à l’appréciation de la personne qui se dit injuriée, et donnent lieu à des interprétations subjectives de la part des juges. Certain-e-s juges ont décidé par exemple que traiter un policier de « poulet » n’était pas une injure, mais que le traiter de « cochon » ou de « douchebag » l’était (Kasapoglu, 2017 ; Blais, 2015). Cette infraction est si vague qu’elle en devient arbitraire. D’une part, les citoyen-ne-s ne savent pas où est la ligne à ne pas franchir et, d’autre part, cette ligne est déterminée au cas par cas par les policiers ou les policières impliqué-e-s, qui sont à la fois juges et parties.