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Les arrestations préventives en vertu du Code criminel

Dans les dernières années, les services policiers ont procédé à des arrestations dites « préventives » lors de manifestations, soit avant qu’une infraction criminelle ne soit commise. Ces arrestations étaient bien souvent basées sur l’appartenance, réelle ou présumée, des personnes ciblées à des groupes jugés « à risque » par les forces de l’ordre.

Par exemple, au printemps 2012, 34 personnes ont été arrêtées, détenues et fouillées uniquement dans le but de les empêcher de se rendre sur le site du Grand Prix de Formule 1, où une manifestation était prévue. Le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a affirmé que ces arrestations « préventives » étaient justifiées en vertu de l’article 31 du Code criminel. Cet article a aussi été invoqué par la Sûreté du Québec (SQ) pour justifier l’interception d’autobus revenant de manifestations à Victoriaville ou à Sainte-Thérèse en 2012 (LDL, AJP et ASSÉ, p. 23-24).

Quelles sont l’étendue et les limites des pouvoirs policiers en matière d’arrestations préventives?

Dans une décision de 2019, la Cour suprême a précisé les limites des pouvoirs d’arrestation – avant la commission d’infractions – donnés par les articles 31 et 495(1) du Code criminel (Fleming, para. 60-61). L’article 31 permet au policier ou à la policière d’arrêter une personne « qu’il [ou elle] trouve en train de commettre une violation de la paix ou qu’il [ou elle] croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle est sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ».

Selon la Cour, ce pouvoir vise seulement les violations de la paix, soit les actes qui comportent « un certain degré de violence et un risque de préjudice » et non pas « un comportement qui est simplement perturbateur, embêtant ou indiscipliné » (Fleming, para. 59). Quant à l’article 495(1), il prévoit exactement le même pouvoir, mais pour les actes criminels, soit les infractions criminelles les plus graves, ce qui inclut par exemple l’émeute (Fleming, para. 61).

En vertu de ces principes, il est évident que ce pouvoir d’arrestation exceptionnel ne permet en aucun cas l’arrestation préventive pour une infraction à un règlement municipal ou une infraction sommaire (de moindre gravité, comme l’attroupement illégal).

Des policiers courrent en direction d'une arrestation massive de manifestant.e.s
Crédit photo : Patrick Sicotte

De plus, l’article 31 est applicable seulement si une violation de la paix est imminente ou sur le point d’être commise  (Brown, p. 249 ; Figueiras, para. 97-100). Ainsi, l’arrestation en vertu de l’article 31 n’est permise que pour prévenir un risque imminent et spécifique d’actes de violence, et non pas un risque appréhendé ou suspecté de manière générale. Le policier ou la policière doit en effet avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction précise va être commise incessamment. De simples soupçons, sentiments, suspicions, intuitions, conjectures ou possibilités ne sont pas suffisants (Robert).

Les services policiers n’ont pas non plus le pouvoir d’arrêter préventivement une personne qui agit légalement pour empêcher une violation appréhendée de la paix par d’autres (Fleming, para. 7). Ils ne pourraient pas par exemple détenir une ou des personnes avant la tenue d’une manifestation de peur que certain-e-s manifestant-e-s brisent des vitrines ou se livrent à une émeute. Ils ne peuvent pas non plus stopper des manifestant-e-s et les fouiller comme condition pour manifester dans l’espace public (Figueiras, para. 77).

Ainsi, les pouvoirs policiers de procéder à des arrestations préventives (avant la commission de violations de la paix) sont très limités, surtout en contexte de manifestations.

 

Le cas des arrestations du G20 de Toronto

Les 26 et 27 juin 2010, plus de 1 100 personnes étaient arrêtées durant et après les manifestations en marge du sommet du G20 à Toronto. Le service de police de Toronto a mené plusieurs arrestations pour violations appréhendées de la paix et dans une écrasante majorité des cas, aucune accusation n’a été portée ou retenue contre ces personnes. Rapidement, un recours collectif de 45 millions de dollars a été déposé pour arrestations et détentions illégales.

En août 2020, une entente de règlement a été approuvée entre le service de police de Toronto et les personnes arrêtées. En plus de compensations monétaires et d’excuses publiques, le service de police s’est engagé à améliorer dans le futur ses pratiques d’intervention durant les manifestations. Entre autres, il s’engage à ne plus procéder à des arrestations massives, sauf en cas de risques de préjudices substantiels et imminents à une ou des personnes physiques (notre traduction, G20 settlement agreement, p. 41). Des avertissements audibles doivent être émis et les personnes doivent avoir l’opportunité de se disperser, le cas échéant.

Crédit photo : Patrick Sicotte

Conclusion

| Les pouvoirs policiers de procéder à des arrestations préventives (avant la commission de violations de la paix) sont très limités, surtout en contexte de manifestations.

Étape

En savoir plus

Lettre ouverte, Les arrestations préventives sont illégitimes et illégales, Marie-Eve Sylvestre, 2012

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