Les services policiers déclarent généralement une manifestation comme étant illégale lorsqu’ils considèrent que la manifestation contrevient à un règlement municipal, au Code de la sécurité routière, au Code criminel ou à une autre loi. C’est en vertu du rôle de prévention et de répression des infractions que les corps policiers ont le pouvoir de procéder à la dispersion d’une manifestation considérée illégale (Bérubé, para. 57).
Souvent, un avis est lu à l’aide de haut-parleurs pour en informer les manifestant-e-s et leur demander de se disperser. Toutefois, les services policiers n’ont généralement pas l’obligation de déclarer la manifestation illégale avant de procéder à sa dispersion (sauf lors d’une « émeute après proclamation », une disposition du Code criminel très rarement utilisée).
Ici intervient donc le principe de la discrétion policière mis en œuvre durant les manifestations. Les services policiers ont une certaine discrétion pour tolérer ou non les manifestations dites « illégales », c’est-à-dire qui contreviendraient à des règlements ou des lois. En effet, les policiers peuvent décider de ne pas disperser une manifestation même s’ils constatent la commission d’une infraction. Ils peuvent aussi décider de ne pas procéder à des arrestations et de ne pas emprunter la voie judiciaire (Beaudry, Bélanger).
Cette discrétion ne lui donne pas une « carte blanche », car son exercice doit reposer sur des motifs valables et raisonnables et non sur des stéréotypes culturels, sociaux ou raciaux (Beaudry, para. 38). C’est dire que, lors d’une manifestation, les corps policiers ne peuvent pas appliquer les exigences des règlements municipaux sur la base de stéréotypes liés par exemple aux convictions politiques des manifestant-e-s ou à leur origine ethnique.
Il est important de savoir qu’un avis d’illégalité et un ordre de dispersion ne peuvent pas être arbitraires. Ils doivent être fondés sur des motifs justifiables et conformes à l’exercice des libertés d’expression et de réunion pacifique protégées par nos chartes.
Ainsi, les policiers ne peuvent pas disperser une manifestation en raison d’actes criminels isolés qui auraient eu lieu pendant la manifestation. Ils ne peuvent pas non plus mettre fin à une manifestation au prétexte que celle-ci ralentit la circulation automobile. Pour en savoir plus, visitez les pages Interdiction d’actes de violence et Interdiction de gêner la circulation routière qui expliquent pourquoi ces deux entraves règlementaires à l’exercice du droit de manifester sont inconstitutionnelles.
Obéir ou résister?
Bien qu’on puisse critiquer a posteriori la décision du service policier de considérer une manifestation illégale, il peut être utile de réfléchir aux stratégies à adopter durant la manifestation : quoi faire lorsque le service policier déclare l’illégalité et demande la dispersion?
On peut chercher à connaître le motif invoqué par les autorités. Est-ce parce que l’itinéraire de la manifestation n’a pas été déclaré ou parce qu’on manifeste en sens contraire du trafic ? On peut ainsi mieux évaluer la réaction à adopter, et il pourrait être utile que les personnes ayant organisé la manifestation en aient discuté au préalable.
Parmi les réactions possibles, certain-e-s vont choisir de refuser de se disperser. Lorsque le motif invoqué pour déclarer la manifestation illégale apparaît abusif, certain-e-s peuvent décider en toute connaissance de cause de ne pas y obéir, en sachant qu’un risque d’arrestation et de judiciarisation en découle. C’est une décision qui pourrait être discutée avant la manifestation.
Si on choisit cette voie, il peut être utile d’avoir les coordonnées d’un-e avocat-e avec soi et de connaître ses droits face à la police (notamment le droit au silence). Il est aussi conseillé de ne pas avoir sur soi lors de la manifestation un objet pouvant être assimilé à une arme, de la documentation relative à l’organisation d’une action ou d’un événement militant, ni de carnet d’adresses, au cas où une fouille a lieu.
Le ou la manifestant-e qui amène son téléphone cellulaire peut également choisir d’en protéger l’accès par un mot de passe (plutôt que par reconnaissance digitale ou faciale), d’en verrouiller l’accès dès qu’il est éteint ou en veille et de bloquer l’affichage des notifications sur l’écran d’accueil durant la mise en veille, par exemple.
D’autres vont plutôt choisir sur place d’obéir, même si cette dispersion apparaît illégitime. Dans ce cas, après la manifestation, il est possible de contester l’intervention policière et demander réparation, une fois qu’on est en sécurité et qu’il n’y a plus de menace d’arrestation. Plusieurs avenues peuvent être empruntées.
Au niveau judiciaire, il est possible de poursuivre le service policier au civil ou de déposer une plainte en déontologie policière ou auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) (voir la page Recours en cas d’abus policiers). La situation peut également être dénoncée publiquement, via un communiqué de presse, une conférence de presse, une lettre ouverte, etc. Des stratégies politiques peuvent aussi être choisies, comme intervenir au conseil municipal ou organiser une manifestation pour dénoncer l’intervention policière, etc.