Luttons contre les entraves au droit de manifester !
Plusieurs règlements municipaux interdisent, sous peine d’amende, de se voiler le visage pendant une manifestation. Ainsi, l’article 3.2 du règlement P-6 de la Ville de Montréal interdisait « à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, d’avoir le visage couvert sans motif raisonnable, notamment par un foulard, une cagoule ou un masque ». Cette disposition n’est plus en vigueur aujourd’hui, car elle a été contestée avec succès dans l’affaire Villeneuve (2016).
De telles dispositions sont cependant toujours en vigueur ailleurs dans la province. Ainsi, l’article 24 du règlement de la Ville de Rouyn-Noranda va même plus loin. Il interdit les masques et les déguisements en tout temps dans l’espace public, exception faite de quelques évènements précis comme l’Halloween.
Ces interdictions sont très larges et s’appliquent à tout type de manifestations, que celles-ci soient festives, sportives, religieuses ou politiques. Aucune intention malveillante n’est requise. Les personnes masquées qui n’ont nullement l’intention de commettre un acte répréhensible, mais qui désirent préserver leur anonymat ou s’exprimer de façon colorée en se déguisant commettent une infraction au sens de ces dispositions.
Or, il existe déjà dans le Code criminel des dispositions dont le but est de pénaliser le déguisement ou le port du masque « dans l’intention de commettre un acte criminel » (article 351 (2)) ou dans le but « de dissimuler son identité sans excuse légitime » lors d’une émeute (article 65 (2)).
Le port du masque et le droit de manifester
Porter un masque ou un déguisement est un mode d’expression garanti par la constitution canadienne. C’est à la fois un message en soi et un mode de transmission d’un message (Tremblay, 2005).
Porter un masque est aussi une façon légitime pour plusieurs de participer à un évènement public dans l’anonymat. L’obligation de manifester à visage découvert peut dissuader des personnes, désireuses de garder l’anonymat pour des raisons légitimes, de participer par crainte d’être reconnues et ostracisées. Certaines personnes revêtent un masque pour se mettre à l’abri des nouvelles technologies de reconnaissance faciale.
En 2012 et dans les années suivantes, on a aussi vu plusieurs personnes déguisées en mascotte participer à des manifestations au Québec. L’interdiction du port du masque a mené dans plusieurs cas à des situations absurdes, comme par exemple l’arrestation de mascottes et la saisie par la police de la tête du costume.
L’interdiction du port du masque est-elle constitutionnelle ?
À deux reprises, les tribunaux québécois ont jugé inconstitutionnelles les dispositions des règlements municipaux interdisant le port du masque, soit celle d’un règlement de la Ville de Québec adopté au 19e siècle ( Tremblay, 2005 ) et, plus récemment, l’article 3.2 du règlement P-6 de la Ville de Montréal (Villeneuve, 2016).
Selon ces décisions, l’interdiction porte atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique. Elle est excessive, déraisonnable et arbitraire pour deux raisons principales.
Premièrement, elle s’applique à toute situation, sans exception. Les tribunaux soulignent qu’elle pourrait éventuellement s’appliquer au Père Noël ou au Bonhomme Carnaval. Deuxièmement, cette interdiction ouvre la porte à la répression de manifestations pacifiques et à l’arbitraire policier. La discrétion accordée aux policiers pour déterminer ce qu’est un « motif raisonnable » de se voiler la figure est trop large et non encadrée.
En 2005, la Cour supérieure a reconnu que les citoyen-ne-s ont le droit de savoir quel comportement est interdit et qu’il ne peut être question, dans une société libre et démocratique, de laisser à l’appréciation des forces policières la détermination de ce qui est acceptable ou pas (Tremblay, 2005 ).
Puisque le choix du mode d’expression est partie intégrante du message, il n’appartient pas aux autorités municipales ou policières de déterminer la manière la plus adéquate et la moins dérangeante, pour les manifestant-e-s, d’exercer leur liberté d’expression (Zhang, 2010).