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Divulguer l’itinéraire ou obtenir un permis

Luttons contre les entraves au droit de manifester !

Plusieurs règlements municipaux exigent la divulgation préalable de l’itinéraire d’une manifestation et/ou l’obtention d’un permis pour tenir un évènement public comme une manifestation.

Ainsi, le règlement de Baie-Comeau interdit la tenue d’assemblées, de défilés, de manifestations, de compétitions et de spectacles dans l’espace public sans autorisation écrite de la Ville. Celui de Cowansville édicte que « nul[-le] ne peut organiser, diriger ou participer à une activité, une marche ou une course regroupant plus de quinze (15) participant[-e-]s dans un endroit public sans avoir préalablement obtenu une autorisation de la municipalité à cet effet ». 

Très souvent, les règlements ne font pas mention de l’autorité habilitée à délivrer le permis et des conditions précises pour obtenir celui-ci. Certains règlements sont plus précis et, dans ces cas, les exigences imposées sont très nombreuses, voire exorbitantes et carrément impossibles à remplir.

Le règlement de la Ville de Gatineau en est un bon exemple. Pour obtenir un permis de manifester, la personne qui en fait la demande doit s’engager à respecter le parcours annoncé et les conditions imposées par le directeur ou la directrice de police, à ne pas utiliser de haut-parleur ou de mégaphone sans autorisation expresse, à assumer la responsabilité de tout dommage causé à la propriété de la Ville ou de tiers et à détenir une assurance responsabilité d’au moins deux millions de dollars. D’autres règlements accordent aux policiers et aux policières le pouvoir de refuser ou de modifier le trajet choisi. 

L’autorisation préalable, l’obligation de fournir un itinéraire et le droit de manifester

Les obligations d’obtenir une autorisation préalable ou d’informer les autorités, ainsi que celle de fournir l’itinéraire, constituent une entrave au droit de manifester librement et portent atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique. De telles obligations ont aussi pour effet de rendre illégales les actions-surprises, les manifestations spontanées et celles de groupes d’affinité dépourvus de structure organisationnelle claire. Elles imposent aux personnes souhaitant participer à une manifestation l’obligation, souvent impossible à remplir, de s’assurer du respect de ces exigences. 

Manifestant.e.s sans itinéraire dans la circulation
Crédit photo: Patrick Sicotte

L’interdiction de manifester sans avoir obtenu d’autorisation préalable ou sans avoir fourni d’itinéraire est-elle constitutionnelle ?

Avant l’importante décision Bérubé de la Cour d’appel en 2019, les tribunaux québécois semblaient accepter sans trop de discussion l’idée voulant qu’un État ou une municipalité puisse exiger une autorisation préalable et la divulgation de l’itinéraire d’une manifestation. Le jugement Bérubé, portant sur l’obligation de divulguer l’itinéraire de toute manifestation selon le règlement de la Ville de Québec, est venu rétablir le rôle central de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique dans une société libre et démocratique.  

La Cour y affirme que l’exigence, sous peine d’amende, de fournir l’itinéraire à la police et de s’assurer qu’il est respecté porte atteinte à ces libertés constitutionnelles. Cette exigence, anodine à première vue, constitue au contraire une obligation très lourde. La juge Marie-France Bich, rédactrice du jugement unanime de la Cour d’appel, conclut qu’une telle obligation ne peut tout simplement pas s’appliquer aux simples participant-e-s à une manifestation.

Elle pose les questions suivantes : comment la personne peut-elle s’assurer que le préavis a été donné ? S’en assurer auprès de qui ? Doit-elle vérifier que le trajet annoncé est respecté ? Comment doit-elle agir si le cortège ou si certain-e-s manifestant-e-s bifurquent ? 

La juge doute même que cette exigence puisse être imposée aux organisateurs et organisatrices d’une manifestation, quand il y en a. En effet, comment les tenir pénalement responsables si les manifestant-e-s dévient de l’itinéraire prévu ? Dans cette décision, la Cour d’appel déclare : « Il y a dans cette suggestion d’intégrer les services policiers à la préparation d’une manifestation […] quelque chose d’antinomique à la liberté d’expression ou de réunion pacifique, qui s’apparente à une forme de surveillance étatique » . 

De plus, ces exigences rendent impossible la tenue de manifestations spontanées, de manifestations-surprises ou de manifestations sans planification ou organisation officielle. La Cour considère que de telles manifestations, surtout celles qui ont une teneur politique au sens large, sont légitimes et doivent pouvoir se tenir dans l’espace public. 

Crédit photo : Mario Jean / MADOC

La Cour d’appel dénonce aussi l’effet punitif fondamentalement injuste du règlement en cause qui permet de condamner une personne moralement innocente. En effet, les simples participant-e-s à une manifestation peuvent être trouvé-e-s coupables même en l’absence d’intention de défier le règlement. Il est très difficile et souvent impossible de se défendre contre une accusation d’infraction pénale dite de « responsabilité stricte ».

Selon la Cour, cette possibilité de condamnation pénale « peut assurément contribuer à refroidir les ardeurs d’éventuels participant[-e-]s et, même, à les dissuader de se joindre à une manifestation, [ce qui] accentue l’atteinte à sa liberté d’expression et de réunion pacifique ». 

Finalement, la Cour d’appel souligne que l’obligation de fournir l’itinéraire – et celle d’obtenir une autorisation préalable ou un permis pourrait-on rajouter – donne lieu à une application arbitraire par les forces de l’ordre. En effet, certains rassemblements ne font pas l’objet d’attention policière alors que ce sont les manifestations comme celles du « printemps érable » qui sont ciblées. Ce constat confirme les conclusions de la LDL dans son bilan Manifestations et répressions de 2015. 

Ce bilan démontre que l’obligation de fournir un itinéraire a servi de prétexte pour tuer dans l’œuf certaines manifestations ciblées et pour procéder à des arrestations de masse. Cela a donné lieu à des pratiques de profilage politique, à Montréal et à Québec notamment. En 2013 et en 2014, par exemple, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a toléré 116 manifestations sans itinéraire qui portaient sur le logement, le service postal, l’assurance-emploi et d’autres enjeux. 

Par contre, il a réprimé brutalement, au moyen d’arrestations de masse par encerclement et par déploiement d’armes de toutes sortes, 23 manifestations des mouvements contre la brutalité policière, anticapitaliste, étudiant et écologiste. Le rapport de la LDL conclut que : « S’il est impossible de faire un lien entre itinéraire et répression policière, il est toutefois possible d’en faire un entre la répression et les catégories de manifestant-e-s ou les thèmes des manifestations ».

Après plusieurs années de débats devant les tribunaux, la Cour d’appel a donc confirmé en 2019 l’importance des activités expressives collectives, spécialement celles à caractère politique ou social. 

Dorénavant, le droit applicable sur tout le territoire québécois se formule ainsi : l’usage de la voie publique pour manifester est légitime et il ne peut pas être limité par une règlementation restrictive. « Ce n’est donc pas parce qu’elle est perturbatrice que la manifestation doit être régulée et si elle doit l’être pour des raisons de sécurité, ce ne peut être prioritairement par le recours à des sanctions pénales de responsabilité stricte », tranche la Cour.

Des luttes qui portent fruit

L’obligation de fournir l’itinéraire d’une manifestation a été contestée avec succès devant les tribunaux à Montréal en 2018 (décision Villeneuve) et à Québec en 2019 (décision Bérubé). Les règlements municipaux ont depuis été abrogés ou modifiés. Il n’est donc plus nécessaire de divulguer d’itinéraire, ni d’obtenir un permis. Pour en savoir plus sur la lutte contre le règlement P-6 à Montréal, visitez notre page Stratégie contre P-6 à Montréal.

À Rouyn-Noranda, des groupes communautaires ont fait pression auprès de la Ville afin de faire tomber cette entrave au droit de manifester. Le règlement obligeait à demander un permis pour manifester 20 jours avant l’évènement. En juin 2021, la Ville a annoncé qu’il n’est plus nécessaire de demander un tel permis et que la réglementation municipale serait modifiée en ce sens à l’automne 2021. C’est donc une victoire à surveiller !

Conclusion

| Les autorités ne peuvent pas exiger des formalités préalables aux manifestations telles que l’autorisation, l’avis ou la transmission d’un itinéraire.

| Les autorités ne peuvent pas sanctionner au moyen d’amendes ou autres sanctions pénales la participation à des manifestations.

| Les inconvénients et les désagréments qu’une manifestation peut causer à d’autres membres de la société ne constituent pas un préjudice et ils doivent être tolérés.

Étape

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